Dernier matin, Sona vient partager le musée avec nous, place de la République, près de l'hôtel. Objets du patrimoine dans leur mise en scène, ce qu'on explique, ce qu'on met en rapport, l'espace qu'on recrée. On va de salle en salle que les employés éclairent quand on arrive, puis éteignent après notre passage. Objets évidemment les plus précieux, comme ce char du XIVe siècle avant J.-C. retrouvé dans les eaux du Sevan.
Des khatchkars, des sculptures arrachées à leurs lieux, celle-ci qui vient de Spitakawor, celle-là de Dvin. Et dans une autre salle, les fresques qu'on a reconstituées, celles d'Haghbat et d'ailleurs. Objets de science, de représentation choisie, mis en exergue, comme dans tous les musées du monde, mémoire préservée, ce qui fera témoignage plus tard. Nous passons dans ces pièces, dans la douleur de ce qui s'évanouit, dans la maigreur de ces objets seuls. Je revois la vieille femme à Makénis nettoyant le sol de son balai de sorgho, nous montrant les khatchkars saturés de soleil, nous tenant les bras, radieuse, regards croisés.
Repas de fête au restaurant pour Sona. Les repères des jours qu'on plante à nouveau dans la mémoire, les rires et les peurs, le difficile qu'on a traversé, le sublime qui nous porte. "Les gens me disaient: Que des étrangers soient capables de faire ça, c'est extraordinaire !" Sona qui se détend, les échanges qui se prolongent, les adresses qu'on se donne, on va s'écrire, il y a Internet. L'émotion dans la gorge, les yeux qui pétillent, on se quitte, on s'embrasse. Je la suis du regard, elle s'en va vers la rue Abovian, je la perds dans la foule.
Dernière collation dans la chambre d'hôtel avant l'avion, pêches et raisins. La chair des pêches, le bonheur du goût, je me répète le mot "fruité", comme si la langue pouvait circonscrire l'errance des saveurs de la terre.