Achot nous attend dans la rue basse de Kirants, inquiet malgré tout.
"Il serait temps de chercher un endroit pour dormir.
- On va s'arranger".
Mais Hemaïak veut encore prolonger ces instants de partage avec sa terre. "Il a dit tout à l'heure aux autres que vous vous intéressiez à tout." Nous repartons, cette fois vers l'ancien cimetière, au-dessus des maisons, envahi d'herbes.
Je me sens saturé d'instants, ébloui tellement comme à chaque respiration d'intensité nouvelle, qu'on sait que cette plénitude tient de l'éternité. Les entrelacs des khatchkars ici, l'un sur l'autre penchés, disent aussi l'inépuisable. Il y a, plus bas, une pierre tombale, les lichens et la mousse la recouvrent. Et Monique et Sona la frottent de leurs mains, dégageant peu à peu les scènes, les personnages. Sur le rectangle de pierre, des signes de la vie d'avant, une femme près d'un métier à tisser, un cavalier et sa longue lance, des silhouettes debout autour d'un repas servi sur la table. Fragments côte à côte mêlés, profusion remplie de l'espace, visages minimes - quelques traits, le regard à peine qui surgit de la pierre. Nous formons devant l'image un cercle fasciné, comme devant l'antique dieu violent le groupe en communion, soudé, terrassé par ce qui le dépasse. Il n'y a pas de mort sur ces tombes, mais la vie racontée partout peuplant l'espace, et derrière la mousse, sur nos doigts ce métier qui fait la toile, inlassablement.