Moro dzor
Chemin dans le village
Gochavank
Le monastère vu du bas de la colline
Ketcharis
Le bac à bougies
Haghbat
Église St-Signe • Les donateurs, Sembat le roi et son frère Gourguen
Bjni
L'église Saint-Serge
Geghard
Des femmes vendant leurs gâteaux
Aghitou
Une pierre tombale
Erevan
Manuscrit au Matenadaran
Tatev
Motif sur le tambour de la coupole
Tegher
Croix sur les pierres de la façade
Kobayr
Visage du Christ de l'abside
Sevan
L'église des Saints Apôtres et le lac
Edjmiadzin
Église Shoghakat • Détail de la façade ouest
Areni
Pierre tombale près de l'église
Ererouk
Restes de la façade
Noradouz
Détail d'un khatchkar
Makaravank
Église principale • Motif polylobé
Yovhannavank
Église St-Jean-Baptiste • Le tympan, parabole des vierges
Noradouz
Le troupeau qui rentre au village
Gochavank
Tympan • Chapelle de l'Illuminateur

Terre perdue
dans l'entre monde
peuple dispersé
comme jamais témoin
de notre devenir.


Terre précaire
depuis toujours
entre la résistance
et l'universel.

Achot a décidé justement de pousser jusqu'aux abords de Gyumri "pour faire le plein car la route est longue encore et ailleurs il n'y aura pas de carburant". Seconde ville du pays, dont nous ne verrons qu'une station service anonyme où comme à chaque fois, il nous faut descendre du véhicule le temps de remplir le réservoir. Plusieurs rangs de voitures côte à côte, mais un seul homme qui officie et qui passe de l'une à l'autre.

Talin, Grégoire et Tiridate sur une stèle
'...qui grave et fonde dans la pierre le pays même...'

Nous reprenons la même route vers le sud, vers Talin. On entre dans la ville, et c'est une atmosphère étrange d'abandon. Beaucoup d'immeubles ici en partie vides, aux ouvertures délabrées. Trottoirs où l'herbe pousse, place au terre-plein comme une friche, nous avançons dans les rues désertes. On dit que la moitié de la population est partie. Ville épuisée, survivante, décors qui se fanent comme ceux d'un film d'autrefois laissés là. On arrive près d'une grande esplanade d'herbe, ancienne nécropole, entre deux églises du VIIe siècle.

Tout près de nous, la Sainte-Mère de Dieu, aux pierres grises et rouges, petite silhouette depuis peu restaurée. Dans le passage, quelques stèles debout. Dans la pierre grise, une scène tout en hauteur. En bas, un personnage, silhouette d'homme, beaux vêtements. Il a le visage d'un animal, un sanglier sans doute: c'est le roi Tiridate IV, qui embrasse de son groin le pied d'un autre personnage au-dessus de lui, au visage nimbé. Grégoire l'Illuminateur est au sommet de la stèle.

Étrange image mêlée du religieux et du politique, qui grave et fonde dans la pierre le pays même. C'est du saint que tout procède, c'est lui qui guérit le roi, qui convertit le pouvoir sur les hommes. Geste d'allégeance ou d'affection? Geste d'alliance, que les siècles d'oppression à suivre rendront intense, indissociable. Longtemps, la culture mais plus encore l'existence même, la résistance seront tissées de ces liens.

On entre dans la petite église, la lumière rend presque les voûtes vives, de rouge d'ocre et de gris. À peine un répit dans la chaleur, les yeux comme les corps qui se reposent.

Dehors à nouveau. De l'autre côté de l'étendue d'herbe, la silhouette massive de la cathédrale. Même ampleur qu'Aroutch le matin, coupole détruite aussi, mais fascination de loin, ce corps de pierre attire, on s'y rend dans l'attente, dans le désir de s'immerger dans les creux des volumes, de voir mieux les courbes des fenêtres jouer avec le soleil et l'ombre. Quand on arrive près de ces murs, c'est encore l'image d'un corps - les sculptures ravagées par le temps, flétries certaines comme une peau. Et parfois l'intacte beauté d'un entrelacs sur un chapiteau. On s'arrête, on repart, la découverte de ces lieux tient du ressac des pas contre les pierres, le mouvement des corps vers elles, l'arrêt un instant comme une extase sur cette frise au motif si gracile, puis le reflux pour un autre désir encore quelques mètres plus loin.

La nef est en partie effondrée, on voit encore cette amorce de voûte arrêtée, ces ébauches de piliers, les pierres à terre, et l'on se fraye un chemin entre elles. Ce qui reste d'une fresque dans l'abside date sans doute du VIIe siècle. Ce n'est plus qu'un filigrane gris, mais ces visages encore vous interrogent de leur puissance, yeux vides, traces blanchâtres de ce qui fut une chatoyante image.

Talin, la cathédrale côté sud
'...et des arcatures sur elles qui tracent l'accompli...'

Qu'apportent les ruines vraiment, au-delà du temps de la mort? Qu'est-ce qui s'abolit dans cette architecture fragmentée? Par endroits, selon que le regard se porte dans l'ombre ou la lumière, l'architecture semble exacte, facette contre facette, élégance des colonnettes, et des arcatures sur elles qui tracent l'accompli. Et c'est alors comme une phrase qui aurait compris que le chant doit se clore, mais sans rupture, ressac à nouveau, remuement de la sève. Ailleurs - et c'est dans l'instant que cela change - voici la matière, l'origine, mœllons de remplissage à vif sous le soleil, pierres à terre comme des ratures, ce qui s'arrête, ce qui se brise.

Ce n'est même pas l'inachevé, ni l'absence, il y a profusion dans les ruines, multitude d'objets. Pédagogie de l'œuvre, elles donnent cette mesure précaire de l'héritage. Non parce qu'on le voit altéré, mais parce que sa cohérence, qui fait culture, semble tenir de l'impondérable.