La route vite devient mauvaise, peuplée de trous qu'on évite en zig-zaguant d'un bord à l'autre. Achot s'enquiert à un carrefour, auprès d'un vieil homme à l'ombre de sa maison. "Oui, vous pourrez passer." Il fait très chaud, nous parcourons longtemps des paysages de solitudes, pas de voitures, pas de troupeaux. Rien que le vent brûlant au sommet des herbes dans la lumière. Des vallonnements, des perspectives larges entre quelques montagnes. Vers l'ouest où nous allons, l'horizon s'abaisse. Après un long moment, nous retrouvons des vergers clairsemés, puis c'est une petite rivière à l'eau sale, aux rives reverdies, les quelques maisons d'un village. Nous continuons vers le nord, sur un plateau d'herbes sèches, avec l'impression d'avancer vers la désolation.
À gauche de la route, on voit soudain des miradors de place en place, pas loin de ce qu'on devine être une gorge. C'est la frontière avec la Turquie - au sol, entre les poteaux de béton, plusieurs rangs de barbelés qui courent sur des kilomètres. Au fond de la gorge, l'Akhourian, un affluent de l'Araxe. Là-bas, de l'autre côté, des petites crêtes hérissent l'horizon et de-ci de-là, les toits de tôle des maisons qui brillent.
Nous remontons encore, nous voici proches d'Anipemza, on prend à gauche. Où est l'église d'Ererouk? Un homme justement au bord de la route, qui fait des signes, on s'arrête, discute, il grimpe à l'avant. Visage cuivré de soleil, il tient à la main un bouquet de plantes, il s'est noué son mouchoir sur la tête. Il parle énormément, voix passionnée, verbe haut. On le dépose deux kilomètres plus loin, près de sa roulotte. "Il fait du miel", dit Sona. "L'église est tout près" dit-il avec un grand geste. Quelques bâtisses encore, pour les militaires peut-être, et nous voici devant cette très ancienne église, sans doute du début du VIe siècle.