Il est quinze heures bientôt. Dans la rue principale, quelques vieilles Lada, quelques personnes, un maigre étal de fruits. Sona va demander pour un restaurant, nous n'avons plus rien pour un pique-nique. C'est un peu plus loin, aucune enseigne, rien qui distingue le restaurant d'un autre immeuble, toutes les façades sont tristes. Achot et Sona font les éclaireurs. "Venez voir" dit-elle.
On entre dans une pièce presque noire au plafond haut, des rideaux vert foncé tendus à toutes les fenêtres. Et malgré cela, la chaleur lourde du jour est à peine atténuée. Une autre pièce avec une table rustique où l'on s'installe, on devine un jardin dehors derrière le rideau. Tout respire ici le dénuement. Une femme souriante vient vers nous. Que veut-on manger? Omelette aux tomates, matsoun... Est-ce vraiment un restaurant? Il n'y a pas de tables dans la pièce à côté. Nous attendons. "Ils sont allés chercher la nourriture dehors" dit Sona. On nous sert l'eau, Djermouk et Noy. Noy, c'est "Noé", l'eau plate qui fait référence à la Bible. Djermouk, c'est l'eau qui pique, premier choix pour la digestion. Les deux à cette heure sont d'un bienfait extrême. La nourriture est excellente, la femme douce, attentionnée.
Nous quittons Talin, avec cette pesanteur en soi de la solitude. Dans les rues, nous longeons de petits immeubles à trois niveaux, aux toits de tôle, aux fenêtres parfois bouchées, parfois béantes. Combien sont habités? Et quel exil pour ceux qui sont partis? Je n'ose pas questionner Sona.