C’est un endroit décomposé, détruit. Il reste des rues que la caméra parcourt, bordées d’immeubles, de maisons éventrées.
Sur la chaussée, des véhicules, des chars incendiés. La guerre vient de passer ici comme un orage, la caméra fait des images, il y a quelques personnes qui reviennent voir leur ancien lieu de vie, là où c’était le bonheur sommaire, avec les rires des enfants et la joie des jardins, là où il n’y a plus qu’amas de pierres, que gravats, que les pleurs et les questions sans réponse.
Et puis bientôt sur la chaussée, des corps morts, certains les mains nouées derrière eux avec un chiffon blanc, d’autres encore mêlés à leur vélo, à terre. Les corps morts font une ponctuation obsédante que le regard n’épuise pas, la caméra va d’un côté et de l’autre, comme hébétée, la voix commente d’un ton presque posé, la voix cherche à se mettre à distance, à dévoiler l’horreur sans ressentiment, sans émotion.
L’horreur, ce qui saisit d’effroi, ce qui fait répulsion, aussi la scène dure peu, mais les images font vite “ le tour du monde ”. Ces êtres morts nous pétrifient un moment. Un moment seulement il faut bien vivre, et continuer de boire à l’inhumanité de l’homme. “ Tout ceci n’est qu’une mise en scène, un plateau de tournage ” disent ceux-là mêmes qui ont fomenté la tuerie. L’image poussée à son extrême d’image, la guerre n’est qu’une image, on ne meurt pas vraiment, il faut toujours cacher la violence. Inéluctable et intolérable, la violence qu’on montre, il faut bien s’habituer.
Ces images, et tant d’autres avant elles et à venir encore, “ plus jamais ça ” avait-on dit. Que ne dit-on des images monstrueuses qui jalonnent les jours. On les regarde ces images, la honte sur nous dans le silence de l’horreur. On a l’impression d’une litanie sans fin, comme une procession où l’humanité n’en finirait jamais d’aller vers sa propre destruction. Il faut s’armer, se réarmer, il faut recommencer. Pas de pardon, jamais, dans ces images, pas d’issue vers la confiance, il faut vaincre, éradiquer l’autre, qui fait peur toujours, qui menace, il faut aller jusqu’à la fin de l’horreur qui n’a pas de fin. On le sait bien pourtant cet infini de la mort, mais le savoir ni l’histoire ne servent à rien.
On voit les images, on serre contre soi l’intimité des proches, ce prochain comme soi-même qu'on tente de préserver, à tâtons, d'irriguer d'énergie amoureuse, pacifiée. On se dit que la raison, comme les idées, ont déserté le monde, qu'il va falloir errer sans fin entre les images et l'horreur, sans autre viatique que le doute, l'incertitude, ou la foi si rarement croisée dans le regard d'un enfant sauvé des décombres.
Écriture le 12 avril 2022