Au village, nous sommes à nus avec la terre. Les maisons donnent sur le paysage, on passe du vent ou du soleil à ce qui nous en protège.
Dans l’instant. Le paysage fait des maisons son enfance. Certaines sont bien érigées côte à côte, mais toutes respirent par elles-mêmes, elles se mesurent directement à l’espace. Chacune est aussi singulière que les gens qui l’habitent, à cause de sa mémoire, de sa vieillesse, de ce qu’on a perdu d’elle au cours du temps mais qui la marque encore. Là une cour, ici un quereux comme on disait autrefois, l’enclos d’une maison, son empreinte, pourraient se décrire comme les ajouts de chaque génération, depuis des siècles sans doute, si l’on savait discerner dans la manière des pierres ce que furent les contraintes et les envolées de chaque vie.
Plus que des routes, ou mêmes des rues comme on les a récemment baptisées, il y a au village des chemins pour l’accès aux maisons, anciennes façons de se mouvoir dans la maigre communauté, anciennes façons de longer l’ombre et la lumière, de s’isoler, de partager. Et les chemins parfois se dissolvent dans l’herbe, quand on ne les fréquente plus assez, ou qu’on a délaissé les maisons qui les côtoient. Les chemins meurent d’un manque de relations, d’un manque d’amour peut-être. Le village est un lieu de la vie qui se maintient, s’agrandit parfois, parfois s’éteint.
La vie, des femmes et des hommes à même la terre, qui tentent de continuer de tisser leurs jours entre eux, au mieux, à l’insu le plus souvent de cet abîme qui les guette. Tous à peu près se connaissent au village, de près ou de loin, tous se souhaitent le bien du jour, sans pour autant partager les mêmes désirs, les mêmes volontés. Cela fait comme des rouages entre eux, distendus peut-être, mais réels encore. Et chacun se demande ce qui se passerait en cas de catastrophe, de l’aide entre eux. Chacun se dit que c’est une sorte de miracle, un village ainsi, qui se tient encore, entre le bonheur des siens et toute la pesanteur du monde.
Au loin, à quelques kilomètres, le bourg, là où le bien commun s’institue en commune, là où c’étaient les rassemblements des foires autrefois et des commerces. Qui aujourd’hui se meurent l’un après l’autre, même si quelques héros du quotidien brûlent encore d’une ardeur émouvante contre ce que les sages disent inéluctable. Maisons du bourg bien plus dépareillées que celles du village, qu’on a récemment tentées d’organiser. On s’emploie à planifier, optimiser l’espace dit-on, tracer des voies. Mais la volonté seule ni la raison ne suffisent, on aurait besoin de bras nouveaux, on ne sait plus faire comme avant le bien commun. Ce qui semble désuet maintenant et qui pourtant tenait ensemble dans l’impalpable. Le bourg a perdu presque toutes ses images, tout ce qui le rendait désirable, il lui reste les mouvements mécaniques du temps. Le bourg survit, tout comme les villages, en attente de quel défi où les visages se rapprocheraient, dresseraient un rempart contre la folie du monde.
Écriture le 30/01/23