C’est début août. Sur la photo il y a devant la maison un arbre immense. Nous sommes venus pour l’arbre et derrière, la maison longue qui suit la pente douce du sol.
En vrai, sous le regard, les vieilles tuiles un peu défaites, les murs qui un peu penchent, l’humidité un peu âcre des maisons fermées. Mais au-devant l’arbre en coupole, un frêne taillé dès l’origine pour porter l’ombre. On regarde cet arbre ancien, compagnon des générations qui ont vécu là. Mais au-devant encore, un petit pré bordé d’autres arbres, une haie et plus loin l’échappée du regard à travers ces minces collines qu’on découvre.
L’homme qui possède ce lieu est venu nous ouvrir, il habite à deux pas. Visage rond rieur, démarche qui balance un peu, et dans la voix une bienveillance rare. “ Douze ans qu’elle n’est plus occupée, vous comprenez... ”. Nous voyons les vieux lits en bois, la table ovale, les cheminées. “ Celle-ci tire bien, elle chauffera la maison ”. Plus haut, ce qui fut l’écurie, au mur du fond tant bombé qu’on prend peur de la fragilité de toute la demeure. “ Vous savez, il y a des travaux à mener, mais la maison date d’avant la Révolution, alors... ” Plus haut encore, la grange ouverte sur le dehors, encore emplie de foin. Je te regarde, nous nous sourions à nous-mêmes. Ce qui peut sembler ici de la décrépitude nous ramène à l’enfance, à cet autre univers que l’urbain où nous sommes maintenant plongés. C’est comme un arrière-pays qu’on retrouve, avec l’intensité folle des images, la lumière accessible et l’espace, et les frémissements du vent. Je me dis que ce sera un règne végétal, comme pour ce poète dont j’admire tant les écrits1.
C’est quelques jours plus tard, on revient pour la signature, au bourg, chez le notaire, grande maison au bas de la route. On a rassemblé l’argent. Dans la salle, celui qui nous a ouvert l’autre jour, Élie, et son épouse Madeleine, yeux plissés, visage ouvert aussi, sagement assis comme nous côte à côte. Après les actes, nous rentrons au village. “ Oui, nous allons rester quelques jours, dormir là, la fin des vacances ”. “ Alors, vous venez manger à la maison ”. Nous ne voulons pas déranger, nous refusons poliment, mais eux insistent. Tant et tant que nous voici à leur table. Madeleine a préparé du coq au vin. Je me suis toujours demandé ce qui les a poussés à nous offrir ce repas de fête. Certainement pas le gain d’avoir vendu la maison. Non plus que la simple politesse d’hospitalité. Sait-on ce qui nous décide, sait-on dans les années les signes ? Elle et lui vont veiller sur nous, durant les années qu’il leur reste à vivre, nous ouvrir à ce pays, dans l’extrême modestie des gens rivés à la terre. Qui savent le frêle esquif de vivre.
• 1 René-Guy Cadou, Hélène ou le règne végétal.
En 1970
Écriture mai 2021
Second village, l'arrivée
Texte émouvant qui parle de votre arrivée dans ce village qui a été et qui reste aussi le nôtre. Cela nous renvoie au premier contact avec notre maison. Le soir même de notre première visite nous étions allés dormir à Rochefort et nous nous disions qu'il était impossible que cette maison nous échappe. Emouvant aussi le souvenir d'Elie et de Madeleine ... jusqu'à leur dernier déménagement auquel nous avions participé tous les quatre ... et le départ d'Elie. Tristesse.