Visage
San Juan de la Pena (Aragon, Espagne)
Les églises du monastère
Noravank d'Amaghou (Arménie)
Fresques de l'abside
Kobayr (Arménie)
Tissu de flammé, ikat trame
Charentes, France
Bestiaire au portail sud
Aulnay
Saintongeoise
Détail de la coiffe
Détail d'un sarong, ikat chaîne
Sikka, Flores, Indonésie
Panneau de soie, ikat chaîne
Boukhara, Ouzbékistan
Carré du marais
St-Hilaire la Palud
Pua kumbu, ikat chaîne
Iban, Sarawak, Malaisie
Détail d'un khatchkar
Gochavank (Arménie)
Nous tentons...
Poème (Rémy Prin)
Coiffe de deuil
Mazières sur Béronne
Motif à l'araignée, ikat trame
Okinawa, Japon
Voussure du portail
Foussais
Il n'y a jamais...
Poème (Rémy Prin)
Détail d'une robe, ikat chaîne
Urgut, Ouzbékistan
Hinggi kombu, l'arbre à crânes, ikat chaîne
Kaliuda, Sumba, Indonésie

Ce qui a duré
dans la mémoire des hommes,
ce qui fait culture,
paysages de la terre
ou pays de l'esprit,
ce qui peuple le voyage,
les vies, la plénitude,
le patrimoine, ce n'est rien
que ce lien fragile
de ce que nous sommes
à ce que nous devenons.

Au château de Suscinio

C’est au détour de l’hiver, et les brumes d’eau de ce pays suintent, lumière grise, on sait à peine la différence entre l’eau des marais, la pluie, la mer.

C’est un pays où tout vous enveloppe, les fragments de l’ancienne forêt, les échancrures du rivage là-bas et qu’on distingue presque comme si la mémoire à chaque instant devait recréer ce que les rideaux des pluies effacent du paysage.


C’est tout près de la mer dans un pays d’oiseaux incertains, on s’y promène mais le corps en attente, humidités, rêves, entre le froid et l’enfance. C’est un château, la porte est lourde et le vent la fait plus immense encore, on entre le corps pétri du dehors, de la rumeur marine qui fait avec la pluie le seul chant si profond de ces terres. On entre dans le dense gris des pierres, ailleurs, dans le vent des histoires de l’enfance, les pierres vous couvrent plus que le paysage encore, tout s’est dissous du jour, ce lieu qu’on venait visiter vous prend par l’épaule, vous voici dans cette pièce ronde au bout de l’escalier du vent, il y a l’infini des pierres soudain, et cette solitude des siècles. Vous cherchez par la fente étroite de lumière la chapelle perdue sur la grève, au loin, mais ce n’est que la pluie grise du fond des âges dans les yeux.


C’est ainsi peut-être, ce qui fait patrimoine, quand la présence du lieu vous transporte ailleurs, avant, à votre insu presque. Vous veniez voir, et les murs maintenant sont comme peuplés d’une absence que vous cherchez à éprouver, à retourner comme si d’elle allait émerger une rencontre. Rien de précis dans ce rêve pourtant, pas de personnages à revivre, pas de spectacle médiéval, pas de scènes de chasse qui firent l'ordinaire, dit-on, des jours de ce lieu. On va d’une salle immense à l’autre, et c’est comme le bonheur d’un autre monde dont on lirait la cohérence, qui viendrait à vous comme une évidence.


Il y a ici des pavements magnifiques d’une ancienne chapelle que les cendres depuis des siècles avaient protégés, qu’on a retrouvés en creusant à peine la terre, on les a mis dans ces salles à hauteur de regard, et dans cette nudité médiévale austère, c’est soudain le chant fragile de la création qui prévaut, couleurs et motifs à l’infini mêlés, vous vous penchez sur eux, bribes qu’on recompose, qui vous irriguent, instants d’images dont vous savez qu’elles vous imprégneront longtemps.


C’est ainsi, le patrimoine, peut-être, l’exception qui tisse encore le rêve d’humanité par-delà les désastres des siècles, ce qui vous prend, vous met en mouvement quand tout à l’heure vous aurez repris les routes de Bretagne, au détour de l’hiver.


En 2008

Écriture en mai 2021

 

Suscinio

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