C'est presque tous les jours, elle vient dans son jardin,
elle vient comprendre la terre un peu mieux,
la travailler saison après saison, sans relâche, pour faire le berceau de la vie qui pousse.
Je vois sa silhouette l'été, son chapeau de paille qui protège,
elle arrête son effort parfois, lève son regard vers le Pré Patin et plus loin vers le Sud,
elle boit à ce paysage de collines douces qui fait cortège à sa vie,
l'échancrure du ciel, c'est comme l'éternité dans les yeux.
Quand elle retourne à la maison,
elle s'arrête, elle dit, avec une extrême douceur en elle :
“ Oh ! Vous avez de jolies fleurs... ”
ou bien :
“ Raymond peut vous emmener demain chercher le bois à Champgrelet ”.
On échange les fruits des jardins, les légumes.
On tisse le bonheur de vivre côte à côte dans la quiétude d'un village.
Parfois c'est comme si elle prenait sur elle toutes les douleurs :
“ Vous avez vu la tempête là-bas, tous ces gens sans abri ? ”
Que peut la quiétude du village, face à la folle rumeur du monde ?
Quand nous partons en voyage, elle est l'ange qui veille sur la terre : “ Ne vous en faites pas, je viendrai arroser, je suis tout à côté ”.
Et son sourire, et la douceur de sa voix disent la grandeur des partages, d'une maison à l'autre.
Ceux qui vivent à même la terre, dans la modestie des villages précaires désormais,
savent cela, qui fait tenir face à la folie du monde.
C'est plus tard dans sa vie, Raymond s'en est allé.
Elle est seule devant la cheminée de l'hiver, assise à lire,
cherchant dans l'arrière-pays des mots ce qui nous aide à vivre.
“ Entrez donc, dit-elle ”, elle nous fait une place.
On parle des plantes dans la véranda qu'on protège du froid. Elle sourit encore, et sa bonté s'est comme approfondie en elle à mesure des saisons.
“ Je ne sais pas combien de temps encore je pourrai m'occuper du jardin ”.
Elle nous regarde, comme pour nous dire que la beauté de la terre est à chacun de nous provisoire.
Je vois ses yeux brillants devant le feu, intensément vivants encore.
Je voudrais lui dire la vie longue, qui dure, qui durera. Je n'ose pas.
Elle se lève, nous accompagne à la porte : ”Rentrez vite, dit-elle, à ces temps on attraperait du mal. ”
Écriture 19 août 2014