Après l’automne ici, quand il pleuvait, on recherchait infiniment un moment fugace, une part de l’espace qui pourrait se soustraire à l’eau.
Mais l’eau gagnait toute chose, tout instant. Il y avait bien sûr le bruit des gouttes aux vitres, et les rafales fouettant les arbres, et les flaques, et le bas de la cour vite comme un ruisseau. Il y avait comme ailleurs tous ces signes que fait la pluie. Mais ailleurs on en garde quelque distance, on pense que c’est la pluie qui tombe – comme une fatalité ou un bienfait, selon son humeur, ou la saison.
Ici, quand il pleuvait c’était la présence enveloppante, comme une compagne, là, nimbant tous les moments, tous les interstices des paroles. On savait qu’il pleuvait, que tout s’offrait à l’eau, qu’elle imprégnait durablement les êtres et la terre, les maisons, les bêtes, la mémoire. La pluie durait, elle ne passerait jamais, il nous faudrait vivre avec son rythme, dans le continu des années.
De temps en temps, on voyait passer, courbés sous le vent, des corps fugitifs qui venaient de la ferme. On finissait par ne plus rien espérer, par accepter l’abri de la maison pour une éternité. Alors, dans le bonheur d’un livre, on levait de temps en temps le regard, on cherchait les gris du ciel, leurs différences, on guettait le moindre mouvement des nuages. On serrait notre longue mémoire entre nous, on aurait plus encore voulu rapprocher les temps d’avant, on se disait que la pluie ne finirait jamais, qu’elle laverait nos corps ensemble devant la mort, que les ruisseaux gonfleraient les rivières, et les rivières le golfe et la mer, que tout le pays – et nous en lui – serait dissous, peu à peu, dans l’inimaginable douceur enveloppante de l’eau.
Écriture en 2010