La Géorgie a gardé une profusion d’églises, dont beaucoup sont ornées de fresques. C’est un merveilleux observatoire de la permanence et des évolutions de l’image byzantine, en plus d’une immersion dans un territoire magnifique.
Nous sommes partis ce matin de Tbilissi vers l’Ouest, avons passé Gori, le lieu de naissance de Staline, où des traces restent des bombardements de 2008. On laisse le monde contemporain, on remonte une vallée qui s’encaisse, qui s’enfonce. Des maisons serrées, de la poussière, de la pauvreté, au milieu de la densité humaine.
L’église d’Ateni est au centre d’une boucle de la rivière Tana. Elle est cernée par des échafaudages. “ Depuis quatre ans, dit Léla, mais pas de travaux encore. ” On quête tout de même les reliefs en aplat, les princes représentés, la chasse au cerf… L’église est fermée, Léla a demandé pour la clé, la femme qui s’en occupe est aux champs, elle va venir, on attend. Un groupe de voyageurs russes arrive, une bonne vingtaine de personnes, un jeune me demande en anglais pour la clé, j’explique, on continue d’attendre. La femme arrive, en noir, affolée de tant de monde. Elle ouvre. Des fresques partout sur les murs, mais des échafaudages partout aussi devant elles. Palabres... on négocie pour mettre une échelle afin d’accéder aux passerelles. Tous, nous montons, privés de vue d’ensemble, mais baignés de la proximité des images, dans le grincement des planches et des armatures métalliques. Ces fresques datent de la seconde moitié du XIe siècle, des prophètes, l’entrée des justes au Paradis, le portrait d’une reine, cette scène de la Visitation aux visages qui se touchent, et cet ange flottant dans l’espace et qui vient avertir en songe Joseph qui dort au-dessous… Présence intense et distance aussi dans la représentation. On sait que pour l’orthodoxie byzantine, l’image est le signe d’abord d’un cheminement intérieur, qu’on a du mal à entreprendre, vu les treillis d’acier et les bruits qu’ils engendrent.
Nous redescendons dans la plaine, pour suivre bientôt la douce vallée de la Dzama. Des vergers, pommes, abricots, prunes, treilles, noix… une surabondance de fruits au cœur d’un pays vert, un paysage comme le paradis, peuplé, souriant. Puis à gauche, on entreprend la longue montée vers le monastère de Kintsvissi, dont on entrevoit de loin la coupole perdue dans les arbres, à flanc des monts, à deux pas des nuages. La route monte en lacets jusqu’à un terre-plein, puis quelques centaines de mètres de montée à pied. Comme toujours, les situations exceptionnelles, à l’écart, dans le silence, se méritent. Deux églises ici, celle de la Vierge, à moitié effondrée, et celle plus vaste de Saint-Nicolas.
Un moine nous a vus venir, il nous précède, ouvre sa boutique près de l’église. Léla demande pour les photos. C’est non, même sans flash, car ça abîme les fresques. On entre, dans une symphonie extraordinaire de bleus. On est à l’époque de la grande reine Tamar (début XIIIe siècle), période de renaissance, où l’on a utilisé du lapis-lazuli pour les bleus de ces fresques a secco. Le moine entre après un moment, il voit nos sacs fermés, nous autorise finalement à prendre quelques photos, comme cet ange entre deux fenêtres, au visage si intense et si doux, proche des femmes découvrant le tombeau vide. Il y a dans tous ces visages qu’on découvre à foison, une extrême finesse. Et c’est comme souvent une émotion déversée, par vagues, d’un long temps d’un regard à l’autre.
Nous voici à la boutique où l’on achète un pot de miel, un petit livre. On a apporté avec nous des images romanes, il les regarde avec intérêt, on souhaite lui en donner. Une question : “ Catholique ?... ” On acquiesce, il refuse, ne peut pas. “ Excusez-moi ”, dit-il...
En 2013
Écriture le 24/04/23