Hinggi kombu, l'arbre à crânes, ikat chaîne
Kaliuda, Sumba, Indonésie
Coiffe de deuil
Mazières sur Béronne
Pua kumbu, ikat chaîne
Iban, Sarawak, Malaisie
Bestiaire au portail sud
Aulnay
Carré du marais
St-Hilaire la Palud
Panneau de soie, ikat chaîne
Boukhara, Ouzbékistan
Motif à l'araignée, ikat trame
Okinawa, Japon
Détail d'un khatchkar
Gochavank (Arménie)
Il n'y a jamais...
Poème (Rémy Prin)
Saintongeoise
Détail de la coiffe
Visage
San Juan de la Pena (Aragon, Espagne)
Détail d'une robe, ikat chaîne
Urgut, Ouzbékistan
Les églises du monastère
Noravank d'Amaghou (Arménie)
Détail d'un sarong, ikat chaîne
Sikka, Flores, Indonésie
Tissu de flammé, ikat trame
Charentes, France
Voussure du portail
Foussais
Nous tentons...
Poème (Rémy Prin)
Fresques de l'abside
Kobayr (Arménie)

Ce qui a duré
dans la mémoire des hommes,
ce qui fait culture,
paysages de la terre
ou pays de l'esprit,
ce qui peuple le voyage,
les vies, la plénitude,
le patrimoine, ce n'est rien
que ce lien fragile
de ce que nous sommes
à ce que nous devenons.

La poésie

“ Car nous ne sommes pas étanches au vent du présent qui nous transperce à chaque instant. Il n’y a pas d’abri quand le monde vacille. […]

Comment devenir adulte en demeurant fidèle aux aspirations de l’enfant dont nous ne pouvons pas nous séparer ? ”

Sylvain Piron, Généalogie de la morale économique, Zones sensibles, 2020

 

Après avoir débusqué savamment, à compter du Moyen Âge, les points de bascule de l’économie vers le capitalisme désastreux où nous sommes, Sylvain Piron termine son livre par un court chapitre “ Puissance de la poésie ” : “ La poésie se comprend comme un rapport à tous les êtres qui peuplent l’espace, de quelque espèce qu’ils soient, dont toute forme de domination est exclue ”.


Même à l’élargir à toute relation non marchande, le champ poétique s’est tant restreint depuis quelques décennies qu’il peut figurer comme un résidu en voie lente d’éradication. La poésie bien sûr, n’est pas que le poème écrit, elle est “ la vie entière ”, disait René-Guy Cadou. Mais la vie considérée, regardée, conçue par la quête entre nous de ce qui nous fait humains, de nos rouages dans le monde, de ce qui nous dépasse aussi. La poésie est en quelque sorte une approche voulue de l’enchantement, une déambulation entre nous, et dans le monde, à l’écoute des souffles profonds des vies. Et la reconnaissance de cet enchantement nimbe tout le réel d’un voile amoureux. Tout amour véritable baigne dans un creuset poétique, et toute poésie dans une folie amoureuse.


Mais cette voix – et cette voie car la poésie c’est aussi, c’est d’abord une manière d’être et d’agir dans le monde bien plus qu’écrire simplement – on les a éloignées, reléguées, fanées dans le presque rien. L’Occident a généré depuis la Renaissance et sa coupure entre nature et culture, une folle machine dominante qui s’est étendue à toute région du monde et à toute activité humaine, pour laquelle ce qui n’est pas quantifiable n’existe pas. Rien n’échappe à la marchandisation et au profit du marchand. Au profit qui fait puissance et domination. Toute parole même doit faire du chiffre, sous peine d’être reléguée dans des territoires incertains, souterrains.


La poésie, cette attention au monde et aux autres – paysages et cultures des hommes, croyances et récits multipliés, ouvrages et œuvres – n’est plus qu’un signe infime dans ce “ vent du présent qui nous transperce ”. D’autant que tenter une voie poétique, c’est se tenir à l’écart des convergences mimétiques, des contaminations médiatiques, qui transforment radicalement un chemin de vie en asservissement à l’audience et à l’argent. Il reste alors la précarité, la tenue à l’écart, le retrait dans un désert difficile, face à la montée des périls, à l’inconscience du plus grand nombre.


Demain, la poésie gagnera-t-elle quelque puissance ? Puissance n’est pas pouvoir. Imagine-t-on ? Élargir la réflexion et prendre distance, regarder et puiser dans ce qu’on croit inutile, dans l’échange paisible, dans la quête de l’invisible, des relations comme des labours profonds entre nous. Mais quel moteur à cela, qui dépasserait les motivations variées de chacun – vices ou vertus ? Dans son livre, Sylvain Piron écrit encore, à propos de la monnaie : “ sa définition même comporte la nécessité d’un accroissement. Tant que le système monétaire et bancaire restera ce qu’il est, tous les appels à la décroissance resteront vains. ” On le sait pourtant, on le sait de la science, sauver l’humanité, c’est arrêter le toujours plus, du moins dans le champ des marchandises. Que peut la parole poétique, à peine audible ? Témoigner dans le désert de ce temps au terrible confort ankylosé, malgré tout, faire sa part de partage pour un improbable éveil.

Écriture en septembre 2021

 

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