J’ai commencé de brasser la terre du jardin, il y a deux jours, dans l’humidité encore grande de cette terre lourde, avec qui je dialogue depuis cinquante ans.
À chaque année qui vient, il faut griffer, creuser et bêcher un peu – juste un peu – cette terre compacte et les restes de l’engrais vert semé en septembre. Un peu plus loin, un envol de vanneaux, dans un nuage léger, signait le bonheur de vivre.
Le jardin nous arrime à la terre, aux aléas du temps qu’il fait, au climat qu’on voit changer au rythme qui s’accentue. Le jardin nous murmure qu’on ne maîtrise pas la terre, ni le temps, ni cette évolution folle que les humains ont mise en branle et qu’ils ne peuvent plus arrêter.
À une centaine de mètres du jardin, sur l’autre versenne, on continue de déverser des poisons dans le sol, régulièrement. Cela fait un brouillard léger dans la lumière. On espère à chaque fois que le vent porte dans l’autre sens. On ne mesure pas l’étendue des dommages, pour le vivant du sol, pour nous-mêmes, pour le monde. On ne sait rien, sauf ce rendement comme la valeur suprême. Qui pourtant ne suffit plus à la précarité paysanne, qui la dépossède, l’oblige à l’exil d’elle-même.
Il faudrait que la terre partout soit comme un jardin, qu’on y porte attention pour les générations qui viennent. Rien de tout cela. Seulement le modèle triomphant d’une économie globalisée, chaotique, incohérente, qui lamine les petites gens, les paysans comme celles et ceux des jardins. Toutes celles et ceux qui regardent le désastre venir dans l’impuissance de leurs mains.
Il faudrait de nouvelles oriflammes, une nouvelle foi, des confiances et des chemins renouvelés… nous n’avons que l’immensité médiatique des résonances vides. Nous nous accrochons, tous, aux jardins, aux plantes qui poussent encore, aux fleurs qui font la lumière nouvelle, celle qui fait du bien aux corps, un moment. Il faudrait une mobilisation, non pour réarmer quoi que ce soit – les armes, c’est toujours la mort, mais pour assembler, tisser, expliquer vraiment. Il faudrait du temps, de ce temps qui coûte trop cher désormais. Les jardins sont condamnés à survivre sans bruit, dans le reflux d’espérance, dans l’attente des malheurs à venir.
Écriture le 02/02/24