Détail d'un sarong, ikat chaîne
Sikka, Flores, Indonésie
Détail d'une robe, ikat chaîne
Urgut, Ouzbékistan
Carré du marais
St-Hilaire la Palud
Bestiaire au portail sud
Aulnay
Nous tentons...
Poème (Rémy Prin)
Il n'y a jamais...
Poème (Rémy Prin)
Visage
San Juan de la Pena (Aragon, Espagne)
Pua kumbu, ikat chaîne
Iban, Sarawak, Malaisie
Les églises du monastère
Noravank d'Amaghou (Arménie)
Panneau de soie, ikat chaîne
Boukhara, Ouzbékistan
Voussure du portail
Foussais
Tissu de flammé, ikat trame
Charentes, France
Motif à l'araignée, ikat trame
Okinawa, Japon
Saintongeoise
Détail de la coiffe
Détail d'un khatchkar
Gochavank (Arménie)
Coiffe de deuil
Mazières sur Béronne
Fresques de l'abside
Kobayr (Arménie)
Hinggi kombu, l'arbre à crânes, ikat chaîne
Kaliuda, Sumba, Indonésie

Ce qui a duré
dans la mémoire des hommes,
ce qui fait culture,
paysages de la terre
ou pays de l'esprit,
ce qui peuple le voyage,
les vies, la plénitude,
le patrimoine, ce n'est rien
que ce lien fragile
de ce que nous sommes
à ce que nous devenons.

Les poètes sont des monstres

C’est le titre d’un dernier livre de Christian Bobin, paru deux mois à peine avant sa mort en novembre 2022.

Très petit livre (60 pages en petit format), et très grand et fort texte, cinglant parfois, et nourri de cette écriture si particulière, puissante et frêle à la fois, qui a fait reconnaître Christian Bobin comme poète, à une époque où l’on fait bien peu de cas de la poésie, et comme écrivain à part entière, depuis sa vie à l’abri dans sa terre du Creusot.

Je n’ai pas cœur ici à évoquer son œuvre qui m’accompagne depuis plusieurs décennies – d’autres bien plus autorisés l’ont fait, ni le personnage, dont le rapport au monde et sa confiance dans l’humain m’ont pourtant souvent ébloui. Alors comme hommage, simplement ce parcours modeste dans ce texte qui sonne comme un dernier appel.

Appel crépusculaire. Voici la dernière phrase du livre :

“ Les poètes sont des monstres. Ils nous aideront à traverser la nuit qui vient. ” → p. 58

Il faut peu de mots au poète pour dire d’abord l’état du monde et sa terreur :

“ Si nous sommes “ modernes ” c’est pour rien d’autre que notre rage à détruire l’amour, cette alliance lumineuse de naïveté et de grâce qui empêche la roue de l’Argent-Roi de tourner. ” → p. 8

Et encore :

“ Les machines portent notre mort, elles en sont grosses et quand elles atteindront la perfection, hypnotiques et silencieuses, elles accoucheront de notre effacement. Nous n’aurons jamais existé. Qui se souviendra des hommes ? Il faut du cœur pour qu’il y ait une mémoire. ” → p. 9

Et Bobin évoque à la suite l’inhumanité des machines, créées de main d’homme, semblable à celle du “ militaire bureaucrate ” qui surveillait les chambres à gaz. Du même mouvement, il nous annonce, dit-il, une bonne nouvelle :

“ Nous sommes morts. Nous avons atteint la cible cartésienne : tout chiffrer, tout découper, puis tout vendre. Cela a mis du temps à mûrir, plusieurs siècles. L’amour, la simplicité, le poème tenaient bon. Maintenant nous y sommes : nous sommes morts, prétentieux et tristes, en deuil de nous-mêmes. ” → p. 13

Bonne nouvelle ? Peut-être faut-il aller au bout de la mort du monde, pour qu’il renaisse autrement, ouvert enfin à la douceur des fleurs et des sourires, au respect de nous-mêmes, à l’infini tremblement des paysages et des regards sur eux partagés.

Est-ce pour empêcher toute échappatoire ? L’auteur rappelle par touches légères et terriblement précises à la fois le souvenir d’Anna Akhmatova, poétesse sous le régime soviétique (elle est morte en 1966) qui appelle la nuit son amie-servante pour qu’elle recopie sur des cahiers cachés ses nouveaux poèmes, car :

“ L’Ours Staline n’aime pas la poésie. L’ancien séminariste qu’il est flaire le dieu vivant, sait qu’il peut faire son terrier dans un poème d’amour... ” → p. 18

Ce qui brise la parole en ces temps dans un versant du monde fait un triste écho totalitaire à ce qui surgit là-bas aujourd’hui, tandis que les machines, sur l’autre versant, dressées par les humains, fomentent la violence :

“ Dans les rues échevelées des grandes villes, sur les trottoirs, l’asphalte, glissent des ombres raides, légèrement obliques, statues d’elles-mêmes. Elles foncent droit comme une balle de fusil sur l’obstacle que chacun est devenu pour chacun. ” → p.40

Bonne nouvelle, parce que, à la fin, ce n’est pas la mort qui gagne, mais le poème. Tant qu’il peut circuler, être dit, être lu. Tant qu’il témoigne qu’il n’y a pas que la raison et les chiffres, tant qu’il célèbre “ les noces de la douleur et de l’amour ”. Lisez ce livre.

Les poètes sont des monstres, Christian Bobin, Lettres Vives, 2022

Écriture le 24/02/23

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