Comment se construisent les visions du monde au sein des cultures, souvent tellement ancrées qu’elles n’autorisent parfois aucune discussion pendant des siècles ?
Pour les gens de ma génération, les souvenirs de ce qu’on m’a appris à l’école, comme on dit, concernant les Mongols, ont tissé une image de guerriers intrépides, de brutes sanguinaires, de conquêtes fulgurantes mais qui n’ont pas duré dans le temps. Tout cela dans l’Asie profonde, bien loin de notre Europe occidentale.
L’image est fausse, et c’est une autre vision bien plus riche et nuancée qui émerge de la magnifique exposition présentée à Nantes, basée sur les recherches récentes, et de son catalogue élaboré sous la houlette de Marie Favereau. Certes, les Mongols furent violents, mais à peu de siècles d’intervalle, ce fut tout autant le cas des Croisés, ou des conquistadors, pour ne citer que deux exemples d’Occident. Les peuples projettent leurs peurs des autres, sans se rendre compte de ce que leurs actions induisent chez ceux qu’ils dominent, toujours pour la bonne cause.
“ Pour la première fois dans l’histoire, la Chine, les terres centrales de l’Islam et le monde slave furent unis sous une même tutelle politique. ” [→ Catalogue p. 34] Et du XIIIe au XVe siècles, ce vaste espace fut au sein de ce qu’on nomme maintenant “ le grand échange mongol ”. Car leur domination tient d’abord aux modalités des échanges commerciaux et humains qu’ils mettent en place. Par exemple, ces soi-disant barbares, instaurent une tolérance religieuse exemplaire : “ ce fut, enfin, une période florissante non seulement pour les chrétiens d’Asie (nestoriens et orthodoxes), mais aussi pour les représentants des clergés taoïstes, bouddhistes et les communautés d’islam qui obtinrent des Mongols le statut de darkhan, un statut privilégié qui exemptait les religieux d’impôts et du service militaire. ” [→ catalogue p. 37]. Et les Mongols n’ont pas cherché à asservir les peuples vaincus, mais à développer les échanges des produits de tous. “ Pour la première fois, voyageurs et caravanes marchandes pouvaient, sans prendre de risque inconsidéré, aller d’Italie jusqu’en Chine1 ”, on se souvient de Marco Polo. Ce n’est pas le lieu ici de détailler les aspects complexes de ce nouveau contexte, mais pensons simplement aux interactions entre le monde nomade originel des Mongols et le réseau de villes impériales qu’ils créèrent ou développèrent.
L’exposition part de la mosaïque des peuples comme les Xiongnu, les Xiangbei, puis les Ouïghours, et de l’émiettement des clans et des tribus. Temüjin, qui deviendra en 1206 Gengis Khan (le souverain universel), gagne des batailles sur ses voisins et réussit à fédérer avec lui ceux dont il est vainqueur. En vingt ans, l’empire mongol s’étend de la Chine du Nord à l’Asie centrale et au nord-est de l’Iran. Ses quatre fils et sa "lignée d'or" continueront son œuvre.
Plus de 400 objets sont présentés qui illustrent ce monde mongol et ses échanges, en provenance d’abord de Mongolie (l’exposition va après Nantes être présentée à Oulan-Bator et dans d’autres pays), mais aussi de grands musées et de collections privées. La scénographie est efficace : les paysages des steppes sont montrés en grand format et photos lumineuses, entre les espaces de présentation des objets, créant comme un appel vers l’ampleur et la respiration de ce monde. Le catalogue, largement illustré, regroupe les contributions de plusieurs experts.
On sort de ce parcours dense avec l’émerveillement de la découverte, mais aussi le sentiment de reconnaissance pour ces chercheurs qui ont bravé bien des pesanteurs et des conflits culturels pour arriver à leurs fins et tenter d’infléchir la mémoire.
1 Marie Faverau, La Horde, comment les Mongols ont changé le monde, Perrin, 2023, p. 17.
Visite exposition 26/10/23 Écriture 13/11/2023
Gengis Khan, Comment les Mongols ont changé le monde
• Château des Ducs de Bretagne, Musée d’histoire de Nantes
• exposition du 14 octobre 2023 au 5 mai 2024, commissariat scientifique de Jean-Paul Desroches, Marie Favereau et Bertrand Guillet
Catalogue sous la direction de Marie Favereau, 324 pages, 38,50 €, diffusion P.U.R.
En savoir plus…