C’est un rituel éteint très loin dans la mémoire. C’est le printemps, quand il y a profusion de fleurs sur la terre.
Comme les autres enfants, je vais dans la procession, avec mon panier empli de pétales de roses, nous sommes en rang, nous en prenons à chaque pas une petite poignée qu’on jette dans l’air. Cela fait des couleurs sous le soleil, il y a des chants, le prêtre, on s’en va vers le reposoir tout décoré sur la place, l’air est doux et j’ai un peu peur du monde tout autour.
Est-ce que je comprends ou j’approuve quelque chose de ce cortège ? Est-ce que le religieux nous relie quelque peu alors, les enfants, les parents, et les plus âgés qui se traînent ? C’est la petite foule du village ensemble, fascinée par son propre mouvement, par les décors qu’elle crée, par tout un attirail de gestes et de paroles que personne ne vit vraiment.
Près de soixante-dix ans plus tard, tout l’ostentatoire du religieux s’est dissous, du moins dans le quotidien des saisons et des villages. Je ne sais pas bien ce qu’on y a perdu, ni ce qu’on y a gagné. Le collectif qui sonnait un peu faux s’est délité, on se sentait faussement seul, on l’est devenu tout à fait. Rituel, ce qu’on commémore, ce qu’on célébrait encore vivant entre nous et qui s’est enfui…
Il n’y a pas que le religieux bien sûr. D’autres rituels perdurent, le feu d’artifice du 14 juillet, son défilé, bien d’autres grandes cérémonies républicaines, où les paroles qu’on brandit résonnent comme des étendards minés par le doute. Les gens s’amusent. Partagent-ils quelques valeurs communes ? Le rituel républicain aussi s’étiole, la culture et les valeurs s’éloignent, loin derrière les affaires et la marchandisation du monde. La culture s’atomise, se réduit à quelques signes festifs, elle forgeait la cohérence des vies, elle va, chaotique, en errance d’elle-même, images multipliées qui chacune tente d’attirer à soi le désir de ceux qui s’agglutinent autour d’elle. Pour un temps, pour le temps du profit.
Combien de temps encore va-t-on les tolérer, ces rituels qui font décorum, qui voilent le réel et sa violence ?
Écriture le 17/07/23