Le jardin cette année a donné fruits et légumes comme rarement, depuis cinquante ans que nous travaillons cette parcelle de terre devant la maison.
Chaleur et sécheresse intenses pourtant, dont nous avons tenté de limiter les effets par l’arrosage. Les quelques orages ont rempli nos cuves d’eau de pluie. Peu de fraises, peu de framboises – les plants souffrent trop du réchauffement – mais une profusion de prunes, de pêches, de pommes, de raisin. Et une quantité de haricots verts, de tomates, de pommes de terre, de potimarrons… les carottes d’hiver et les poireaux sont encore à venir. Nous avons préparé des conserves – plus de quatre-vingt bocaux – des compotes, des confitures. Et les pommes et le raisin ont nourri l’extracteur de jus.
Le jardin est une longue patience d’efforts et de temps consacrée à la terre, à ce qui pousse. Nous avons appris depuis cinquante ans qu’on ne maîtrisait rien, qu’il fallait accepter les aléas, que les efforts intenses parfois ne produisaient rien. La faute aux gels de printemps, à l’excès de chaud, aux parasites parfois, à la sécheresse surtout. Mais quand on récolte, quand on fait ses repas de ce que donne le jardin, c’est un immense bonheur qui rayonne entre nous, sans que j’en sache le pourquoi à ce point, comme si ce cycle végétal nous apprenait la communion intense avec l’univers entier, à partir d’une petite parcelle, à partir de quelques fruitiers.
Et le temps qui va – celui de l’humanité qui saccage allègrement cette terre nourricière – nous apprend la précarité. Quand les saisons maintenant nous comblent à ce point, on sait que c’est en quelque sorte un sursis, comme des moments radieux qui échappent encore au désastre. Et celui-ci, qui plane sur nous, qui rôde sans qu’on ait prise sur lui, nous faits devenir modestes, humbles, et malgré tout presque confiants d’avoir pu encore participer à ce chant fertile et ce dialogue, depuis des millénaires, entre les gestes des hommes et cette terre qui se laisse brasser, remuer – et soudain cela germe et grandit, cela fait nourriture.
Si chaque puissant de ce monde – ou qui se croit tel – cultivait lui-même un peu de jardin, de ses mains, est-ce qu’il comprendrait l’appel silencieux, désespéré, des plantes, des arbres ? L’évidence de l’avenir du monde est au cœur du jardin, dont tous les puissants se moquent, occupés qu’ils sont à leur domination. L’évidence de cette communauté, entre la terre et nous, première et qui devrait faire primauté.
Écriture le 11/09/23