C’est dans l’hiver, après les nuits longues où les corps s’engourdissent. C’est après l’insensible moment des attentes, quand le corps reste reclus, forgé sur lui seul. Quand tout semble étal, enclos sur soi, quand on ne sait plus ce qui pourrait nous délivrer.
Un matin d’aube claire, je regarde les branches touchées par le premier rayon. D’elles se développent toutes les complexités lumineuses enchevêtrées. Branches comme le monde incertain, qui continue pourtant, qui se prolonge. La flambée du vivant qui ne brûlerait rien d’autre que le regard, qui ne prendrait à l’univers que l’énergie des yeux.
Sur l’herbe, quelques merles, un rouge-gorge, et leurs sautillements. Que peut-on voir des grandes mêlées du vivant ? Que peut-on saisir ? L’herbe qui pousse et sèche vite, la gravité plus intense de la lumière, la nourriture en allée des oiseaux ? Tout nous échappe de la complexité souple des ramures, mais le regard persiste, il embrasse le paysage, à mesure de sa révélation, comme il étreindrait le corps souple d’une femme aimée. Le regard ne sait rien, il guette de quoi la lumière est le signe, il guette les signes, sans comprendre bien ce qu’ils révèlent.
Contempler, c’était à l’origine se situer avec l’espace du ciel et de la terre pour interpréter les présages, être avec le temple, dans ce lieu sacré où l’essentiel du devenir humain serait révélé. Et celui qui contemplait formulait le sens des jours et des choses.
Aujourd’hui, que peut encore la vie contemplative, ce qu’on agrège lentement en soi des fragments du paysage, des miettes du vivant qu’on perçoit jour à jour ? La saison va venir, de l’allongement des clartés, les iris déjà grandissent, et les bourgeons bientôt, avant le premier chant du rossignol. Ce que je contemple chaque jour tient des paysages simples de la terre, collines un peu boisées, grands espaces des céréales aux bords mouvants du vent. Les hommes agissent sur eux avec moins d’empathie qu’autrefois. Mais ici on voit peu les effets délétères de leurs agissements. On peut croire encore à l’harmonie des êtres, à cette lenteur fourmillante qui interagit, qui s’appelle, qui bâtit peut-être même une cohérence. À l’abri des pouvoirs et des dominations qui corrompent, absolument.
Contempler, tenter l’impossible acquiescement à la totalité d’un paysage, à la grande fresque en lui, au-delà de ce qui s’écrit du monde, jour à jour, dans les saisons variées de la terre, et de l’humanité en elle qui lentement dérive. Comment retrouver au-delà de l’angoisse devant la terre qu’on épuise l’amour qui ferait voir et comprendre, qui dirait comme autrefois les signes d’avenir, dans cet espace entre le ciel et la terre, où vont nos vies fragiles ?
Écriture 31/12/2021