Cela fait des années déjà que les cigales accompagnent nos étés, donnant à la Saintonge un air de Sud, chant des cigales entêtant, rythme sans fin des journées chaudes qui se tarit le soir au profit du tintement léger des grillons.
La terre célèbre la douceur d’être au monde. Dans le paysage des étoiles, au début de la nuit, nous guettons ces voix familières qui s’arrêtent une à une. Demain, dès le soleil, la musique va reprendre.
Nous étions jeunes en amour, quand j’avais compris combien les insectes vivant sur la terre la célébraient ainsi, peuplant les champs de lavande et les prairies en versants, de ce qui n’était ni mélodie, ni refrain, mais une présence au cœur du monde qui l’offrait mieux, le donnait à voir avec une plus grande acuité. Présence, ce qui est bien autrement que le fait d’être là, qui relie la chair du regard à l’univers. C’était en 1970, dans les Alpes de Provence, près d’un village qui s’appelait Saint-Jurson. Nous y avions rencontré une femme qui sculptait le bois, qui nous avait dit de planter la tente un peu plus loin, sur la clairière en pente, à l’abri de la montagne. Nous nous étions endormis avec le chant de la terre, bercés par ce qui semblait l’harmonie du vivant depuis toujours.
Cette année, depuis les grandes chaleurs de juin qui se sont prolongées une bonne part de l’été, les cigales se sont tues, très vite en saison, et les grillons. Comme un arrêt définitif. Il n’y a pratiquement plus de bourdonnements, très peu de guêpes. Seul le roucoulement de quelques tourterelles. Comme si le bruit des vies se retirait pas à pas de la terre trop sèche, de l’herbe grillée. Comme si c’étaient la mort et son silence qui gagnaient les arbres, qui allaient se répandre sur les jours.
Ce n’est pas la première année sèche et chaude, mais ce qu’on perçoit de nouveau dans les jours d’ici – ce retrait du vivant qu’on devine inexorable – s’agrège à toutes les catastrophes du monde que le flot des informations fait couler jour à jour sur nos corps. Sans qu’on le retienne en soi, flot qui divague, distille l’impuissance. Les plus puissants des hommes ne fondent sur la terre que leur domination. Ce qu’on en voit, tel un trou noir, c’est la vie lentement dissoute, de partout. Et la terreur qui se répand sur la planète cherche à faire signe malgré tout, d’être ensemble, en justice, en équité, que c’est la seule issue. Mais nous n’entendons rien, juste un jour après l’autre, le flot des infos sur les corps, qui s’en va vers une mer innommée.
Écriture le 07/09/22