La mosquée du Shâh donne sur l’immense place d’Isfahan. Elle fut construite par le shâh safavide Abbas Ier au début du XVIIe siècle, après qu’il eut fait de la ville sa capitale.
C’est une période de plein épanouissement de l’art iranien et de renouveau complet de cette ville. La mosquée, immense, est un ensemble architectural complexe où règne la profusion du décor. C’est celui du pishtaq d’entrée qui est le plus fouillé, en mosaïque de céramique.
Cette technique consiste à découper des formes dans des carreaux de céramique de couleurs différentes et les assembler ensuite entre elles. Contrairement à la mosaïque byzantine par exemple, les formes découpées ne sont pas des petits carrés relativement uniformes, mais des éléments souvent courbes et fins, qui s’insèrent dans un système visuel d’entrelacs d’une haute complexité. On imagine mal la patience créative et la grande anticipation nécessaires à la réalisation d’un tel décor : tous les fragments découpés doivent s’insérer justement comme en un gigantesque puzzle, pour faire naître ces réseaux d’abstraction visuelle d’une prodigieuse intensité, qui défient souvent notre propre vision.
La mosaïque de céramique se retrouve ailleurs, notamment à Samarcande, à la nécropole timouride du Shâh-e-Zende, mais c’est sans doute ici, dans l’Iran safavide, qu’elle atteint une acuité visuelle qui tient de la grâce et de l’exception. Rarement les yeux acquiescent à une telle conjonction de fluidité, d’élégance et de complexité enchevêtrée. Comme si la multitude des liaisons entre les courbes qu’on donne à voir venait par vagues dans le regard, que celui-ci sautait d’un chant des entrelacs à l’autre, suivant la ligne des bleus clairs, puis des bleus foncés, des ocres, sans épuisement ni rupture.
Sans doute est-ce inutile de décrire ces mélanges, ce qui tient du trait et ce qui tient du végétal, les surfaces des couleurs, les proportions des formes… Sans doute est-ce inutile, car ce décor immuable est un exceptionnel mystère de mise en mouvement, de mobilité de l’œil, sur la surface qu’on voit tout autant que dans la profondeur de l’être en soi-même.
Cet art de l’Islam, on le sait, dépouille le regard, un peu comme la méditation dépouille l’esprit. Il fait de la vision un instant essentiel, désencombré des oripeaux du réel, une quête en soi d’un espace sans fond, sans clôture, une perception de la permanence toujours en découverte.
En 2015
Écriture le 03/07/22