Fresques de l'abside
Kobayr (Arménie)
Motif à l'araignée, ikat trame
Okinawa, Japon
Bestiaire au portail sud
Aulnay
Tissu de flammé, ikat trame
Charentes, France
Panneau de soie, ikat chaîne
Boukhara, Ouzbékistan
Détail d'une robe, ikat chaîne
Urgut, Ouzbékistan
Saintongeoise
Détail de la coiffe
Il n'y a jamais...
Poème (Rémy Prin)
Carré du marais
St-Hilaire la Palud
Détail d'un sarong, ikat chaîne
Sikka, Flores, Indonésie
Hinggi kombu, l'arbre à crânes, ikat chaîne
Kaliuda, Sumba, Indonésie
Les églises du monastère
Noravank d'Amaghou (Arménie)
Pua kumbu, ikat chaîne
Iban, Sarawak, Malaisie
Coiffe de deuil
Mazières sur Béronne
Voussure du portail
Foussais
Nous tentons...
Poème (Rémy Prin)
Visage
San Juan de la Pena (Aragon, Espagne)
Détail d'un khatchkar
Gochavank (Arménie)

Ce qui a duré
dans la mémoire des hommes,
ce qui fait culture,
paysages de la terre
ou pays de l'esprit,
ce qui peuple le voyage,
les vies, la plénitude,
le patrimoine, ce n'est rien
que ce lien fragile
de ce que nous sommes
à ce que nous devenons.

Arméniens en Iran (1) : Saint-Thaddée

Sur cet îlot du lac de Van en Turquie où se dresse l’église d’Aghtamar, un pur chef d’œuvre de fresques et de sculptures du Xe siècle, nous avions rencontré un arménien de Tabriz qui avait fait le voyage jusqu’à Van, avec la grande ferveur intérieure qu’on connaît aux Arméniens, eux qui mènent souvent d’un même élan leur être, leur mémoire et souvent leur malheur.

Lui était bienveillant, attentionné. “ C’est un peu de nous ”, disait-il en regardant Grégoire l’Illuminateur, au soleil sur les parois de l’église.

Cinq ans plus tard, nous voici en Iran, en chemin depuis Tabriz justement pour quatre heures de route vers le Nord-Ouest, à peu de distance de la Turquie, de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie d’aujourd’hui. Au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans la campagne iranienne, le paysage s’appauvrit – ici, les hommes fauchent la luzerne à la main, comme ils moissonnent encore et battent les blés, laissant des tas de grains blonds au soleil en plein milieu des champs. La route s’est amenuisée, comme les signes de modernité. Il reste encore des trouées vertes dans l’aridité des paysages de cet immense espace du haut plateau.

Tout à l’heure, nous nous sommes arrêtés pour le pique-nique près d’un ruisseau, Reza nous a laissé quelques minutes en s’excusant pour faire sa prière à l’écart. Le bon musulman, féru de culture, amoureux fou de son territoire, qui nous emmène à Saint-Thaddée, le monastère arménien. “ Il n’y a pas de problèmes avec les Arméniens, ils sont libres de leur religion ”, dit-il. Et on se prend à rêver à la tolérance universelle, au respect mutuel, à la polyphonie du monde.

Il est vrai que l’histoire ici des Arméniens est très ancienne. Thaddée, dit la légende, fut l’apôtre qui vint dans ces régions au Ier siècle. Et c’est dans ce lieu où nous arrivons, à plus de deux mille mètres d’altitude dans un splendide site montagneux, qu’il fut dit-on martyrisé avec 3500 nouveaux chrétiens. Il est vrai aussi que Perses et Arméniens se sont “ apprivoisés ” depuis longtemps. Nous sommes ici assez proches de Joulfa, une cité autrefois arménienne, dont le Shâh safavide Abbas Ier déporte la population vers Isfahan, sa nouvelle capitale. Nous sommes au début du XVIIe siècle. Exil douloureux et mortel pour beaucoup. Mais à Isfahan, Abbas Ier donne aux Arméniens un quartier, la Nouvelle Joulfa, avec mission pour eux de développer le commerce vers l’Occident. Régions à la charnière des mondes, et peuples qui se reconnaissent à peine, à peine ensemble.

Au bord de la route, des marchands rares de raisin, et ceux plus nombreux de pâtes de fruits, séchées au soleil et mises en plaque, qu’on déguste un fragment après l’autre. Quelques maisons basses près des deux églises, deux bus de visiteurs, de grandes meules de foin, quelques élancées d’arbres verts perdus dans l’aridité des montagnes.

saint thaddee ensemble


On dit que Grégoire, le fondateur de l’Église arménienne, serait venu créer ici un premier monastère au IVe siècle. Il est bien attesté au Xe siècle, subit l’invasion mongole au XIIIe siècle et bien d’autres aventures au cours du temps. Entièrement reconstruit au XIVe siècle, il a subi depuis des transformations. Dans ses deux églises accolées, la blanche et la noire (Kara kelisa qui a donné son nom au village), on peut lire les mélanges culturels. L’église noire, qui date sans doute de 1329, emprunte aux Seldjoukides les “ chaînes ” à fort relief, comme dans nombre d’églises en Arménie même. L’église blanche, plus grande, date du XIXe siècle, et on y a pris comme référence l’église Sainte-Croix d’Aghtamar du lac de Van en Turquie. Elle est tapissée de reliefs sculptés comme son modèle. Mais ici la main du sculpteur est plus sèche. On y décèle l’influence perse dans le bestiaire ou les motifs végétaux, au sein des thèmes chrétiens, comme cette pesée des âmes si souvent montrée sur les églises romanes.

saint thaddee noire sud


Impression de foisonnement extraordinaire, de ténacité dans l’affirmation de l’âme arménienne, l’exubérance extérieure et la nudité sombre sous les coupoles, l’endroit et l’envers du chant des pierres. On fait le tour, on scrute, on s’imprègne, on croise un jeune couple de Français, venus eux aussi juste pour la passion, comme nous sans racines arméniennes.

saint thaddee pesee ames


En ce lieu inscrit au patrimoine mondial, chaque mois de juillet, les Arméniens d’Iran et d’ailleurs viennent en foule pour le pèlerinage annuel de trois jours. Les alentours se couvrent de tentes. L’évêque arménien de Tabriz anime les cérémonies, il fait procession de la main reliquaire de saint Thaddée, que chacun embrasse avec vénération. Chants et costumes de tradition, ferveur entre soi retrouvée, la communauté arménienne au sein de l’Iran chiite…

Nous rentrons, le corps étoilé de fatigue. Après des kilomètres, on s’arrête pour le thé. Des chèvres, des moutons, l’eau qui coule, l’eau que l’homme verse dans la théière, les matelas dehors. L’homme si pauvre, si démuni, mais qui se met à parler avec chaleur de Saint-Thaddée, quand on lui dit d’où l’on vient.

En 2015

Écriture le 31/07/22

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