Sur ces chemins quasi infinis, qu’on a dit de la soie, entre Orient et Occident, que les voyageurs empruntent depuis deux millénaires, l’Iran fait office de plaque centrale, une simple carte le montre.
Il faudrait plutôt dire une interface entre les mondes, un lieu d’infusion des échanges. Mais aussi bien lieu des empires, Perses et Mèdes, Sassanides, avant que l’Islam ne les balayent. Islam, mais chiite, aux dynasties fortes, aux oppositions tenaces avec les voisins sunnites. Avant qu’au début du XXe siècle l’Occident ne s’en mêle et que le Shâh, dernier en date, ne se laisse séduire par lui. Puis, que tout bascule, il y a plus de quarante ans.
Le shâh était encore au pouvoir quand nous avions la première fois projeté d’aller là-bas. Le projet n’a pris corps qu’en 2015, au moment même où le pays signait un accord porteur d’espoir avec les grands états de ce monde. On sait ce qu’il en est advenu. Aujourd’hui que j’écris ces lignes, deux jeunes hommes viennent d’y être pendus, pour avoir manifesté, en soutien aux femmes iraniennes. Que peut la tristesse, ou la douleur, qui traversent le cœur ? Des pays dont nous avons partagé un court moment l’existence, combien sont aujourd’hui hors d’accès ? Sensation amère de la fermeture du monde, hormis peut-être pour les grands marchands de la planète. Violences et cruautés, conjuguées avec ce qu’il advient de l’énergie et du climat : bientôt les peuples resteront chez eux, comme autrefois, chacun devenant plus ennemi potentiel pour les autres. Non que je méconnaisse les désastres du tourisme de masse, ni ses réductions strictement marchandes, ni même la porosité des cultures qui les changent à grande vitesse, à grande échelle désormais, mais du moins un espace d’échanges encore vrais était-il possible pour ceux qui le désiraient vraiment.
Les articles qui vont suivre consacrés à cet Iran de 2015 ne se veulent pas naïfs, ni oublieux. Nous sommes allés là-bas à la rencontre de la mémoire longue des aventures humaines. Loin somme toute des épreuves d’aujourd’hui. Parce que celles-ci ne révèlent, si l’on peut dire, leur complexité tout comme leur inconsistance, qu’à la lumière du génie des cultures humaines. Perses, Parthes, Sassanides, Arméniens, Bouyides, Timourides, Safavides et d’autres encore ont laissé sur ces terres des traces de l’absolu. Leur vision à eux, singulière, de l’absolu, qui toutes devraient nourrir aujourd’hui notre questionnement du monde, et qu’on devrait respecter en toute humilité. Sans accepter l’intolérable. C’est ce à quoi s’emploient, je l’espère, les quelques articles “ iraniens ” des semaines à venir.
Écriture le 08/01/23